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Jean-François Rauger, cinéphile aguerri

By 2 février 2020 No Comments

Le directeur de la programmation de la Cinémathèque était également membre du jury longs métrages de la 27e édition du festival du Film fantastique de Gérardmer. Rencontre avec un amoureux du cinéma, notamment celui du genre fantastique.

C’était une évidence pour vous de faire partie de ce jury ?

Oui, c’était logique dans le sens où la Cinémathèque est un partenaire du festival et qu’elle s’intéresse au cinéma qui y est montré. J’étais là aussi par goût personnel pour cette manifestation et les films qu’on y découvre. J’étais donc à la fois en mission et en vacances. Je suis très heureux d’avoir été choisi comme membre du jury, c’était un honneur et cela me permet de parler de cinéma. Les cinéphiles adorent parler de films et mes petits camarades du jury étaient formidables.

Qu’est-ce qui vous attire dans le film de genre ?

Pendant longtemps, le cinéma fantastique était figé par des conventions, les films appartenaient à des genres très limités. Aujourd’hui, la notion de genre a un peu explosé. Il y a des films très personnels qui n’ont rien à voir avec le genre, mais qui font l’usage du fantastique ou du surnaturel. Il y a évidemment toujours des films d’horreur qui tirent sur la ficelle de l’imaginaire… Mon rapport au fantastique est paradoxal : je m’intéresse beaucoup plus au cinéma comme révélateur du réel, un voyage dans l’imaginaire, par un travail du négatif.Ce que nous montrent les films qui font usage du surnaturel, c’est qu’ils nous disent quelque chose du monde réel. Ce sont souvent des allégories de la vie réelle. On passe par l’imaginaire pour mieux revenir à la réalité.

Est-ce qu’il y a des sujets de société dont vous aimeriez que le cinéma de genre s’empare ?

Je crois que le cinéma fantastique s’est emparé de tous les sujets de société. Ceux qui décident de ça, c’est le réalisateur et celui qui écrit le film. Le cinéma fantastique, comme l’ensemble du cinéma, est touché par des sujets de société. Le film fantastique fonctionne beaucoup sur l’allégorie et il a été longtemps un genre qui questionnait politiquement la société. Quand ce ne sont pas de très bons films, ce qu’ils disent de la société , ils le font sous la forme d’un symptôme. Un mauvais film qui aurait juste le but de divertir le spectateur, montre de manière très brute les illusions du monde contemporain, sans travail de réflexion. Quand le réalisateur est très bon, ou poète, là, le monde réel devient l’objet d’une réflexion et d’un point de vue. Qu’il passe par le fantastique ou non, c’est secondaire, même si le fantastique ouvre des voies que ne peut ouvrir le cinéma traditionnel.

Votre dernière grosse engueulade cinématographique ?

Once upon a time… in Hollywood de Quentin Tarantino, un film qui a été un peu controversé quand on l’a vu à Cannes, même si ça a été un peu moins le cas quand il est sorti. Pour moi, c’était le plus beau film de 2019, mais tout le monde n’était pas d’accord avec ça. Ce sont sur des enjeux idéologiques et des questions politiques que le film est contesté, à mon avis tout à fait à tort. Là, vraiment, je ne me laisse pas faire. C’est un exemple aujourd’hui ce qui est très irritant, c’est que l’idéologie a pris le dessus sur toute autre considération. On voit un film avec des lunettes idéologiques et on ne voit pas ce que peut avoir de singulier une œuvre. Evidemment, quand un film est médiocre, il n’y a que ces lunettes-là qui marchent, mais quand un film est véritablement singulier, on passe à côté si on regarde le film avec ces lunettes idéologiques, sociologiques, culturelles, etc. Il faut essayer de voir comment certains films atteignent la vérité poétique des choses.

Dernière claque fantastique ?

Midsommar. Alors, est-ce que c’est du fantastique ? C’est discutable, mais c’est un film très impressionnant, ce fut une très bonne surprise. Comment une réalité, ce rituel d’été en Suède, se transforme en voyage mental. Le fantastique a pour objectif de nous faire passer du monde objectif à un monde subjectif, à un monde mental. Voilà une des qualités du fantastique. Ce que le film nous montre, c’est un décorticage des phobies et des névroses du personnage principal et de comment ce dernier essayait de soigner ses névroses avec des rituels dont la signification est censée lui apporter une solution consolante.

Le président du jury de Gérardmer 2020 était une présidente, est-ce un sujet ?

C’était très bien que ce fut une femme. Sans doute pendant longtemps, ce genre a été sous domination masculine. Le cinéma fantastique ou plutôt d’horreur était dirigé, surtout lorsqu’il était fabriqué industriellement, vers un public jeune et plutôt masculin. Depuis quelques années, cela change, les films réalisés par des femmes ne sont pas les moins effrayants. C’est un signe des temps et c’est donc tout à fait normal qu’il y ait enfin eu une présidente et puis par ailleurs, Asia Argento est une superbe actrice, qui a une histoire personnelle et familiale avec le genre. C’était donc parfait.

Pourquoi si peu de films de genre français qui sont récompensés ?

C’est une vieille question. Pourquoi peu de films français fantastiques ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord se dire que la notion de genre en France est peu pertinente. Il y a eu des comédies, puis les films policiers, un peu de mélodrame dans le cinéma classique français jusqu’à la Nouvelle Vague qui déconstruisait plutôt les genres. Donc il y a peu de films fantastiques français, car il y a peu de films de genre français. Le genre est une fabrication industrielle, construite sur la division du travail et le ciblage du public. C’est Hollywood ou les studios japonais. On faisait des westerns, des mélos, les films visaient des publics particuliers : les jeunes, les adultes, les femmes… Cette notion n’a pas existé en France, car on n’a pas eu les systèmes industriels. La production française a toujours été éclatée, c’étaient des petites sociétés de production. Pour récapituler, pas de film de genre à cause du système et du moment moderne du cinéma français, à savoir la Nouvelle Vague.

On parle de cinéma de genre, mais si on parle plus particulièrement du cinéma fantastique ?

Là on est dans une histoire culturelle, la France, c’est le pays des Lumières, du cartésianisme, le pays où la lecture critique des films vient des années 1950, notamment formée par André Bazin qui voit le cinéma comme un outil d’enregistrement du réel. A partir de là, la notion de fantastique est compliquée. Si vous considérez que le cinéma, ce n’est pas construire un monde imaginaire, mais enregistrer la réalité, la notion de fantastique est problématique. Toutefois, il y a de grands cinéastes comme Méliès, Franju, Cocteau, qui ont intégré à leur travail d’auteur, la notion de fantastique. Alors oui, il y a peu de films fantastiques français, mais il y a eu Les Yeux sans visage et ça, ça n’a pas de prix.