Interview

Gareth Edwards

Dans les pas de Gareth

Il y a des hommages pour célébrer des carrières presque achevées, celui rendu à Gareth Edwards lors de la 31e édition du Festival du film fantastique de Gérardmer pourrait être davantage la célébration d’un nouveau souffle dans l’univers de la SF au cinéma. En quatre films seulement, le réalisateur anglais, disciple de Spielberg et Lucas, a su faire vriller les codes du blockbuster à coup de science-fiction DIY ancrée dans le réel. Rencontre.

Vous venez du monde de la conception graphique et des effets visuels. Pourquoi avoir choisi cette porte d’entrée pour rejoindre l’univers du cinéma ?

Ce n’était pas vraiment un choix, plus un accident. Je rêvais d’une carrière à la Steven Spielberg. Je croyais que pour faire du cinéma il fallait faire une école, réaliser des courts-métrages, les présenter dans des festivals, puis c’est là qu’Hollywood vous appelait pour faire un long-métrage. J’ai fait tout cela, mais je n’ai pas reçu d’appel. J’ai donc dû reconsidérer toute ma carrière. Mon colocataire à l’université étudiait cette nouvelle chose étrange appelée « animation par ordinateur ». Je me souviens, à l’époque, Jurassic Park sortait sur les écrans. C’était clairement l’avenir du cinéma et je me suis dit que si j’apprenais à utiliser ces logiciels, peut-être que je pourrais faire du cinéma. Je pourrais filmer avec une caméra, monter sur un ordinateur, créer des effets visuels… et ainsi réaliser un film depuis chez moi, sans passer par Hollywood. Et pour apprendre tout cela, je pensais honnêtement que cela me prendrait un an. Dix ans plus tard, j’apprenais encore ! Mais ça payait plutôt bien, donc je continuais à repousser l’échéance, à me trouver des excuses. Je suppose qu’il y avait quelque part une peur de l’échec. M’est venue ensuite une autre peur, celle de devenir ce vieil homme qui n’aura jamais vraiment essayé. Alors, un jour, j’ai quitté mon emploi, j’ai rassemblé tout mon argent et j’ai essayé de faire un film. J’avais 34 ans ! Ça m’a pris du temps.

Ce film, c’est Monsters, pour lequel il y avait cette idée, au départ, de faire ce qu’Hollywood ne veut pas ou ne peut pas faire…

Avec 250 000 dollars en poche pour faire le film, ce n’est pas la peine d’essayer de rivaliser avec Hollywood. Il s’agissait donc de faire quelque chose qu’ils ne feraient jamais ! L’idée a été de commencer un film de monstres là où tous les autres se terminent. Généralement, dans un film de monstres, vous avez une invasion, une grande bataille, les humains ou les monstres gagnent et c’est fini. Dans Monsters, on s’est projeté quelques années plus tard, lorsque l’humanité s’est habituée à cette nouvelle réalité, ce nouveau monde de cohabitation avec les créatures. C’était donc très facile à tourner : il s’agissait de filmer des gens marchant dans les rues, ignorant les monstres et continuant à mener leur vie. Une bonne idée pour un film peu cher et facile à faire. Nous sommes ainsi partis à cinq en Amérique centrale. Nous n’avions pas de scénario, seulement une histoire et quelques répliques. Concrètement, les acteurs ont eu beaucoup de liberté. La part importante d’improvisation donne au film cette impression de documentaire hybride. Il y a par exemple cette scène où mes personnages essaient de passer la frontière entre le Mexique et les États-Unis sans leurs passeports. Ils l’ont vraiment fait ! Nous sommes allés à un poste d’immigration et leur avons dit qu’ils n’avaient pas de passeports. Nous avons dû revenir plus tard tout leur expliquer… Nous avons souvent fonctionné ainsi, « pour de vrai ».

Et c’est finalement avec cette idée de ne pas faire comme Hollywood que vous y êtes entré. Tout cela est assez ironique…

Oui, c’est étrange… Je voulais tellement éviter de faire un blockbuster insipide, et je me suis tout à coup retrouvé au cœur de ce qui pouvait le devenir très rapidement si je n’y prêtais pas attention. Pour la réalisation de Godzilla, j’ai appris à nager à contre-courant en permanence en essayant de faire de mon film quelque chose qui ait du sens. C’était tellement difficile !

C’est pourtant vrai qu’il y a quelque chose de différent dans votre façon d’aborder le blockbuster, que ce soit pour ce Godzilla aux airs de Dents de la mer, où vous dissimulez votre « animal » le plus longtemps possible ou encore pour Rogue One, spin-off de Star Wars sans Force ni Jedi, centré uniquement sur des êtres humains…

Pour Rogue One, mon Dieu, par où pouvait-on commencer ? Comment faire différemment ? C’était devenu un petit jeu. Et pourquoi ne pas tout prendre à revers ? Star Wars, au départ, c’est l’histoire d’un garçon coincé à la maison qui rêve de rejoindre une guerre. Alors racontons une histoire sur une fille coincée dans une guerre qui rêve de rentrer chez elle. Par ailleurs, Star Wars, quand j’étais enfant, c’était une « putain » d’aventure. Comme Luke, je voulais devenir un rebelle, partir me battre dans l’espace. Tout cela était vraiment très excitant. Mais en tant qu’adulte, la guerre, c’est mal, c’est horrible, cela ne devrait pas arriver. De cette évolution, de cette réflexion m’est venue l’idée de faire un Star Wars dans lequel la guerre ne serait pas romancée. Fondamentalement, tout le monde meurt dans Rogue One. Et je me souviens de cette grande conférence avec les équipes de Disney pour une présentation officielle du projet. Bob Iger [directeur général de The Walt Disney Company , ndlr] était monté sur scène afin de présenter tous les personnages de notre film. Certains des acteurs étaient sur scène également. Je me souviens avoir donné un coup de coude à mon voisin en lui disant : « Ils vont tous mourir… » et je m’attendais tellement à ce qu’ils nous disent non… Ils ne l’ont jamais fait !

La fragilité de la condition humaine est au cœur de chacun de vos films. Même lorsque vous vous appropriez des icônes fantastiques comme Godzilla ou vous confrontez à la galaxie Star Wars, l’être humain est omniprésent. Il y a quelque chose de Spielberg dans cette façon d’aborder le fantastique…

Le leitmotiv de Spielberg a toujours été de placer des gens ordinaires dans des circonstances extraordinaires. Raconter une histoire fantastique mais à travers les yeux d’un homme ordinaire. Mais mon plus gros problème avec Godzilla a été de réussir à raconter une histoire avec un personnage central haut de trente étages qui ne peut pas parler. Comment raconter cette histoire ? Et d’ailleurs, que raconte-t-elle vraiment ? Vous essayez différentes choses, le film catastrophe vous apparaît comme l’approche la plus évidente. Mais le personnage de Godzilla est avant tout une métaphore. Celle de Mère Nature face à l’homme. Godzilla Minus One vient de sortir, et le fait qu’ils aient pu tourner toute l’histoire au Japon, surtout à l’époque où ils l’ont située, fait que la métaphore prend davantage d’importance encore. Mais compte tenu des circonstances, à l’époque, je suis vraiment fier d’avoir réalisé un film avec l’armée américaine, d’avoir pu glisser une référence à Hiroshima, comme l’expression d’une forme de regret, d’hommage… Avoir pu glisser ce genre de détails sous le radar signifiait beaucoup pour nous. Car lorsque vous faites un blockbuster, s’il n’y a pas ces éléments significatifs, je pense qu’il est bon pour la poubelle.

Plus récemment, avec The Creator, vous avez prouvé qu’il était possible de combiner la liberté créative d’un film indépendant et l’envergure d’une grande production…

Je pense que oui ! Mais je pense que l’on peut faire encore mieux. À l’avenir, j’aimerais réussir à faire ce genre de film avec une période de tournage bien plus resserrée et en totale liberté. Et simplement réserver une petite section pour tourner en parallèle les grandes scènes, les cascades, tout ce qui ajoute de la valeur à la production. Mais malheureusement, pour The Creator, nous n’avons pas pu découper le tournage de cette façon en raison des disponibilités des uns et des autres, de la pandémie. Cela a donc coûté un peu plus cher que prévu, mais je pense que pour un prochain projet de ce type, nous pourrions encore améliorer la feuille de route.

Dans chacun de vos films, quel que soit le budget dont vous disposez, vous semblez vouloir ancrer la science-fiction dans la réalité. Plus c’est crédible, mieux c’est ?

C’est simplement peut-être la dernière frontière à explorer. Mes idoles comme Steven Spielberg ou Ridley Scott ont fait beaucoup de SF très cinématographique, mieux que je ne pourrais jamais espérer le faire. Me reste alors à explorer une SF 100 % réaliste… Cela dit, Blade Runner et Alien sont déjà extrêmement réalistes ! Et déjà dans Star Wars, à sa sortie, l’univers semblait tellement réaliste, habité depuis longtemps par des personnes réelles. Cela dit, il y avait cet esprit d’un film de David Lean. Comme si Lawrence d’Arabie avait rencontré 2001 : l’odyssée de l’espace. À partir de là, que nous reste-t-il, à nous réalisateurs ? Que pouvons-nous faire que George Lucas n’a pas déjà fait ? Eh bien, peut-être quelque chose d’ « extra-réaliste », sorte de rencontre cette fois entre Terrence Malick et Star Wars. C’est ce qu’on a essayé de faire dans The Creator en partant de l’humain, en filmant des femmes et des hommes, comme dans un documentaire, pour les transformer en robots par la suite. Nous nous sommes rendus dans de vrais villages pour tourner des séquences où les gens vaquaient simplement à leurs occupations. Puis, dans un second temps, nous en avons fait des robots. À la fin, plus les gens y croient, plus ils s’investissent et vous ne voulez surtout pas rompre cet enchantement. Le Graal pour moi, sur le plan stylistique, c’est quand la réalisation cinématographique est très réfléchie mais que les éléments semblent arriver de façon totalement aléatoire devant l’objectif. C’est tellement difficile à réaliser mais c’est ce qui me pousse à faire des films. Trouver cette tension, à l’équilibre, entre d’un côté une histoire pensée dans les moindres détails, sous contrôle, mais plongée dans un monde réel hors de contrôle. Voilà, pour moi, le cocktail cinématographique parfait. Un peu comme dans un film de Martin Scorsese où vous assistez à des performances d’acteurs ultra-naturalistes, le tout soutenu par un morceau des Rolling Stones. Et à la fin, on a cette sensation étrange en regardant ces images à la perfection presque irréelle mais nous racontant une histoire, finalement, profondément ancrée dans la réalité. Dans The Creator, je pense avoir encore un peu trop penché du côté du blockbuster très réfléchi et pas assez du côté du réalisme. Je sens que l’équilibre n’était pas parfait, mais je n’en ai jamais été aussi proche. C’est comme un tour de magie, les gens savent qu’il y a un truc mais vous voulez qu’ils se demandent malgré tout comment vous avez fait car cela reste à leurs yeux totalement insensé. J’aime vraiment cette confusion. C’est ce que je recherche.